La soirée de la veille avait été plutôt chargée pour le pauvre Jacob, barman était définitivement un travail qui ne lui convenait pas; adresser un sourire forcé à chaque client, mettre fin à leurs querelles et être payé une misère, très peu pour lui. Seule l'obligation de devoir subvenir à ses besoins le motiver assez pour endosser jour après jour l'uniforme de barman. Installé depuis un peu plus d'une semaine à Londres, Jacob profitait enfin de son premier jour de congé, à son avis bien mérité. S'il avait passé les dix premières heures de la journée à récupérer de sa fatigante nuit de travail, Jacob comptait bien profiter de sa soirée, lui qui ne connaissait de la ville que le trajet séparant Soho du Crazy Hot. Pour la première fois Jacob se retrouvait seul dans l'appartement, sa sœur lui ayant préféré une soirée étudiante. Après une brève douche, considérablement raccourcie après que l'eau chaude ait été coupée, le jeune homme se mit en route.

La découverte de Londres tourna court lorsque Jacob décida de revenir à ses bonnes vieilles habitudes, celles de s’effondrer au comptoir d'un bar. Un bar irlandais d'après les dizaines de trèfles représentés un peu partout dans l'établissement. Échoué sur le comptoir depuis une bonne dizaine de minutes, une bière en pression à la main, Jacob avait le regard perdu sur la télévision principale suspendue au-dessus du comptoir. Un match de rugby entre l'équipe irlandaise et italienne y était diffusé, d'où les nombreux rugissements des plus fervents fans irlandais venus profiter d'un match entre amis.
Soudainement nostalgique, Jacob pensa à la vie qu'il venait de quitter, à ses grands-parents et amis qu'il laissait derrière lui, ainsi qu'aux études qu'il avait abandonné. S'il ne regrettait cependant rien à cette soudaine décision, le jeune homme ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter quant à leur avenir encore incertain.

« Une autre pinte, s'il vous plaît. » S'enquit-il de demander au premier barman passant à ses côtés qui s'amusa à deviner la provenance de l'accent du jeune homme, sans même réussir à la trouver.
Tandis qu'il payait sa deuxième consommation une voix fluette attira son attention. Une jeune femme se tenait à ses côtés, le regard concentré sur le tabouret où la veste de Jacob était négligemment posé. « Je gêne, pas vrai ? » Demanda t-il, un léger sourire sur les lèvres, tout en autant sa veste.

Les jours se suivent et se ressemblent… Ce n’était peut-être qu’un stupide dicton ou proverbe ou elle-ne-savait-quoi d’autre encore, mais Jessie trouvait que malheureusement dans son cas, il était vrai. Le sort s’acharnait-il contre elle ou était-ce seulement un concours de circonstances un peu douteux ? La jeune Irlandaise l’ignorait, mais peut importe ce que cela était, elle était foncièrement agacée par cette situation inchangée. « J’ai peut-être pas de talent, en fait » avait-elle grogné dans l’appartement avec son ami, tandis qu’elle était prise d’un profond désespoir, tout de même justifié. « Espèce d’idiote, t’as un talent monstrueux. Regarde tes dessins et écoute un peu ta musique. » Jessie avait finalement râlé contre lui, il ne la laissait même pas pester tranquillement. Comme elle le lui avait dit, sur le coup elle ne cherchait pas du réconfort, mais une oreille attentive à ses râles. Jessie avait alors décidé d’aller s’aérer la tête, ça commençait à devenir une habitude.

Un Irish Pub, une bonne dose d’Irlande et ça irait mieux… Ca devenait vraiment une mauvaise habitude, même si pour un Irlandais boire était naturel, il fallait tout de même le faire avec modération. Jessie oubliait un peu modération, rangée dans le placard depuis un petit moment. Elle entra dans un pub qu’elle connaissait un peu. En entrant, elle se dirigea directement vers le comptoir, en jetant un coup d’œil au match diffusé à la télé, l’Irlande était devant, parfait ! Elle arriva au comptoir, mais le seul tabouret libre était occupé par la veste d’un illustre inconnu. « Je gêne, pas vrai ? » lui demanda le jeune homme, tout en ôtant sa veste du tabouret.

« Un peu » avoua l’Irlandaise, en s’asseyant.
« Une pinte, compatriote ? » lui demanda le barman en la servant avant même qu’elle réponde.
« Deux » répondit-elle, prenant de l’avance.
La blondine regarda alors le jeune homme avec un air curieux.
« Alors … qu’est-ce qu’un Anglais vient faire dans un pub irlandais ? » lui demanda-t-elle.

Jacob observa la jeune femme prendre place sur le tabouret. Il fallait l'avouer, les femmes irlandaises n'avaient pas de quoi rougir face à la beauté anglaise. D'une gorgée le blondinet termina son verre, le posant sur le comptoir, déjà prêt à entamer une nouvelle pinte. La jeune femme le pris de court, commandant non pas une mais deux pintes, faisant ainsi sourire de nouveau Jacob. « C'est connu que vous, les irlandais, avez une assez bonne descente mais tu te surestimes pas un peu trop là ? » Lui demanda t-il en désignant du regard les deux verres que le barman déposaient sur la surface du comptoir, face à la blondinette. Jacob c'était toujours considéré comme un bon buveur, il pouvait ingurgiter des « litres » d'alcool et tenir toujours sur ses deux jambes. Les lendemains étaient toutefois plus difficiles, ses gueules de bois pouvant durer deux journées entières selon la consommation du blondinet. Son goût pour l'alcool il le tenait de son grand-père qui aimait le bercer à coup de rhum dans le biberon.

La jeune blonde se tourna vers lui, visiblement intriguée à l'idée qu'un anglais se trouve dans un bar irlandais. Comme seule et simple réponse Jacob haussa les réponses, à vrai dire il n'avait pas cherché loin et était rentré dans le premier bar qu'il avait pu apercevoir dans les rues londoniennes. L'Irish Pub était plutôt sympa, bien qu'un peu trop vert au goût du blondinet. « L'anglais a pas capté qu'il s'agissait d'un bar irlandais.» Se sentit-il obligé de répondre en croisant le regard curieuxde la jeune irlandaise. « C'est vos trèfles qui lui a mis la puce à l'oreille » D'un air quelque peu moqueur il désigna les symboles verts dessinés un peu partout dans l'établissement. « Et qu'est ce qu'une irlandaise vient faire en Angleterre ? » Lui demanda t-il à son tour, bien qu'il ne soit pas rare de croiser un bon nombre d'étrangers dans le pays. Bien que Newcastle n'attire en réalité que les gens qui y vivent déjà...

« Juste comme ça, moi c'est Jacob. » Lâcha t-il bien que la jeune femme ne lui ait pas, encore, demandé.

La blondine posa son regard sur l’Anglais qui s’était aventurée chez les siens. C’était une façon de parler bien sûr, ils étaient en Angleterre, si bien que le jeune inconnu était aussi bien chez lui en dehors qu’à l’intérieur de ce pub. Mais il fallait avouer que les Irish Pub servaient de coin de rassemblement aux Irlandais loin de chez eux. Le barman posa les deux pintes devant Jessie, et sourit à la remarque de l’Anglais. Elle eût même un petit rire. Deux pintes n’étaient rien pour la jeune femme, elle fêtait la Saint-Patrick depuis ses treize ans, et ce n’était pas deux pintes qui auraient raison d’elle. Quand elle y pensait, ce n’était pas une bonne habitude à prendre, mais c’était dans le folklore irlandais, même si ses parents n’avaient jamais aimé voir leur fille unique se transformer en pochtronne à cette date précise.

« Non, je ne me surestime pas. » répondit la blondinette, amusée.

Jessie regarda plus attentivement le jeune homme tandis qu’il répondait à sa question. Il n’avait pas attention, c’était une réponse comme une autre. Malgré l’ambiance verte, Jessie constata que le jeune homme avait les cheveux similaires aux siens, mais aussi en bataille. Il n’était pas trop mal d’ailleurs, et Jessie imagina qu’elle pourrait peut-être passer une bonne soirée en sa compagnie. En tout cas, cela commençait bien. Et la question qu’il lui posa montra qu’il se prêtait au jeu qu’elle venait de lancer inconsciemment ou pas. Ce qu’une Irlandaise faisait sur le territoire irlandais. Si Jessie avait été aussi honnête que le jeune homme, elle aurait répondu qu’elle fuyait. Mais ça n’avait rien de charmant ni de sympathique, elle préféra donc omettre cette partie.

« Peut-être que l’Irlandaise est en vacances ? » lui proposa-t-elle comme réponse.

Bien sûr, Jessie n’était pas en vacances, mais dans une merde noire plutôt. Cependant elle n’avait pas envie de parler de cela, mais plutôt passer une bonne soirée. Le jeune inconnu décida alors de se présenter, Jacob.

« Jessie » répondit-elle avec un sourire.